Dossier

Rétrogaming : le point sur une tendance pas si nouvelle

22 juillet 2018
Par Ludovic Pierillas
Rétrogaming : le point sur une tendance pas si nouvelle

Le vintage, c’est tendance. Ce ne sont pas les amateurs de platines vinyles ou de frigos SMEG qui diront le contraire. Dans le jeu vidéo, cette tendance s’appelle le rétrogaming. Un phénomène qui a le vent en poupe. De Sega, avec sa Mega Drive Mini, à Nintendo, dont les NES Classic Mini et Super Nintendo Classic ont fait grand bruit, en passant par SNK et sa Neo Geo Mini, tout le monde s’y met progressivement de manière officielle. Toutefois, même si le rétrogaming est particulièrement sous le feu des projecteurs depuis quelques mois seulement, il s’agit d’une pratique beaucoup plus ancienne. Et qui ne se limite pas aux seules consoles rétro sorties récemment. Explications.

Dans le petit monde du rétrogaming, il y a clairement eu un avant et un après 11 novembre 2016. Cette date correspond en effet à la sortie de la NES Classic Mini. Il s’agissait là de la première incursion officielle de Nintendo dans le domaine des consoles rétro. Un secteur nébuleux où se distinguaient surtout des constructeurs peu connus du grand public tels que AtGames, et qui se sont spécialisés dans la revisite de consoles anciennes de Sega ou Atari, avec plus ou moins de succès. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce coup d’essai de Nintendo s’est vite transformé en coup de maître. Toutefois, le constructeur japonais semble avoir été le plus surpris par ce succès, dans la mesure où il a grandement sous-estimé la demande de la part du public. Ce qui n’a pas manqué d’entraîner de rapides ruptures de stock et une flambée du prix de la console sur le marché de la revente. Néanmoins, la firme de Kyoto a rapidement appris de ses erreurs puisqu’elle ne les a pas réitérées avec la Super NES Mini, fabriquée d’emblée en quantités suffisantes.

Quel état pour le marché des consoles rétro ?

Le succès de ces machines a immédiatement été au rendez-vous. On dénombre à ce jour plus de 2,3 millions de NES Classic Mini distribuées dans le monde, malgré les soucis d’approvisionnement initiaux donc, et plus 5,28 millions de Super Nintendo Mini vendues pour la seule année 2017. De quoi prouver qu’il y a un véritable engouement autour des consoles rétro. Il n’en fallait pas plus pour convaincre les concurrents. Dans la foulée, Sega a en effet mandaté AtGames pour la conception d’une Mega Drive Mini, alors que SNK s’est également lancé dans la production de la Neo Geo Mini.

Sega Mega Drive Mini

 

© Sega

En marge de ces trois gros poissons que sont Nintendo, Sega et dans une moindre mesure SNK, d’autres acteurs de moindre envergure occupent le marché de la nostalgie vidéoludique. Au premier rang desquels AltGames, évoqué un peu plus haut. Au-delà de la Mega Drive Mini, ce fabricant est également à l’origine de l’Atari Flashback 8 Gold, incluant quelques classiques du jeu vidéo comme PitfallSpace Invader et d’autres titres provenant directement de l’Atari 2600. La Sega Genesis Flashback, elle, contient 85 jeux, dont des épisodes de Sonic, Mortal Kombat et Phantasy Star. Toutefois, les produits de AltGames souffrent d’une finition généralement assez discutable et fragile, sans parler de l’ergonomie des manettes, elle aussi très perfectible. Pour ne rien arranger, l’émulation des jeux s’avère parfois approximative.

Hyperkin RetroN 5

 

L’Hyperkin RetroN 5 © Hyperkin

Le constructeur Hyperkin a de son côté adopté une approche différente. Il produit aussi des consoles pensées pour le rétrogaming, avec les gammes RetroN et SupaBoy S, qui se veut portable. Ses récentes productions, comme la dernière machine citée ainsi que la RetroN HD, n’intègrent aucun jeu sur leurs circuits imprimés. À la place, elles permettent de lire des cartouches de NES (pour la RetroN HD) ou de la Super NES pour les SupaBoy S. Un bon moyen donc de ne pas se heurter à l’inévitable problème de légalité qui touche les consoles rétro misant sur un catalogue de jeux intégrés, mais sans licence officielle. Ces modèles constituent aussi un bon moyen pour les joueurs de donner une seconde vie aux cartouches qu’ils ont eu la bonne idée de conserver.

Pas forcément aussi connues du grand public, les consoles rétro d’Analogue comptent toutefois parmi les plus convaincantes. La NT Mini et la Super NT permettent respectivement de lancer tous les jeux NES et SNES grâce aux cartouches d’origine, sans restriction de territoire (les cartouches européennes étant différentes des japonaises et américaines, par exemple). La dernière citée offre aussi une compatibilité 1080p, 720p et 480p. La réputation de ces consoles est excellente en matière de conception et les rendus sont décrits comme étant plus convaincants que les machines d’autres constructeurs tiers. Les NES et SNES Mini ont toutefois redistribué les cartes à leur sortie, même si elles restent fondamentalement différentes.

Super NT Analogue

 

© Analogue

Les nouvelles pratiques du retrogaming

Au-delà du marché du hardware, avec ces sociétés qui visent la fibre nostalgique des joueurs, quelques pratiques récentes ramènent les titres anciens sur le devant de la scène. On peut par exemple évoquer les smartphones, nouveaux refuges de licences passées telles que Streets of Rage, Golden Axe ou encore Sonic The Hedgehog sous le label “Classic”. Ces jeux jouissent d’une notoriété telle qu’ils rayonnent sans peine, si bien que Google attribue à Sonic plus de 5 millions de téléchargements. Il est certes gratuit, mais il intègre des publicités qui assurent à Sega, son exploitant, de substantielles rentrées d’argent. Il est par ailleurs possible de débourser 2,29 euros pour profiter d’une version du jeu sans publicité. Un modèle économique sans doute très rentable pour la firme japonaise. Smartphone oblige, la jouabilité est adaptée au support avec des contrôles tactiles. L’esprit des jeux perdure toutefois, avec notamment la réalisation technique d’époque. Il reste toutefois plus confortable de jouer sur une plateforme traditionnelle, souvent plus intuitive au niveau des contrôles.

Golden Axe

 

© Sega

Pour le reste, tout comme les ordinateurs, les smartphones Android sont un terrain de jeu propice à l’utilisation des émulateurs pour lancer les ROM (extractions des jeux consoles sous forme de fichiers) de jeux anciens. L’utilisation conjointe d’un émulateur et d’une ROM appropriée permet de jouer à des titres issus de plateformes variées, telles l’Atari ST, la NES, la SNES, la Mega Drive, le PC Engine, les GameBoy et autres titres MS DOS. Il faut bien sûr prendre en compte la problématique légale qui accompagne la pratique ; nous y reviendrons d’ailleurs dans un autre dossier.

Voici quelques émulateurs trouvables sur le portail Google Play :

– MegaN64 pour des jeux Nintendo 64.
– Emulateur NES pour des jeux NES
– ePSXe pour des jeux PSX.

Sur les consoles actuelles, ou même les PC, les éditeurs et développeurs qui officiaient déjà à l’époque ou qui ont acquis les droits d’anciennes franchises populaires proposent également des rééditions de ces jeux dépassés. Toujours fidèle au poste, Sega est l’une des sociétés les plus actives en la matière. On pourrait très bien parler de la compilation Sega Mega Drive Classics, testée par nos soins ici, et qui a manifestement tapé dans l’œil de notre testeur. Sur Steam, les Classics de l’éditeur sont également présents en masse. Shining Force, Sonic, Wonder Boy, ToyJam & Earl, Landstalker, Altered Beast, Ecco le Dauphin, Sword of Vermilion et beaucoup d’autres sont ainsi disponibles sur la plateforme de distribution numérique de Valve, pour une bouchée de pain.

Sega n’est cependant pas le seul des mastodontes du jeu vidéo à avoir investi le segment de la réédition. Square Enix est lui aussi passé maître dans l’art de réutiliser ses très nombreuses propriétés intellectuelles. On trouve sur de très nombreuses plateformes des titres tels que Final Fantasy III, Final Fantasy IV, Final Fantasy V et ceux qui suivent jusqu’au dernier (et donc le célébrissime Final Fantasy VII), mais aussi les succès qui ont fait la réputation des studios Eidos, tels les premiers Tomb Raider et autres ThiefParfois, plutôt que de retranscrire à l’identique l’expérience d’antan, les développeurs retravaillent un peu leur sujet par le biais de remasters ou de remakes. Le retour de Secret of Mana illustre bien la complexité de ces tentatives qui ne sont pas toujours couronnées de succès. Il y a en revanche parfois quelques retours gagnants, pour le plus grand bonheur des nostalgiques.

Secret of Mana_20180226161519

On pense notamment à Shadow of the Colossus, un jeu particulièrement bien reçu par les joueurs et la critique. Quant à la préparation d’un remake ambitieux pour Final Fantasy VII ou l’arrivée imminente de Shenmue I & II, elles déchaînent les passions de joueurs qui n’ont qu’une envie : redécouvrir des titres qui ont bercé leur enfance avec, parfois, une relecture plus moderne.

Du neuf avec du vieux

Mais la frénésie du rétrogaming ne s’exprime pas seulement par des rééditions ou par l’émulation. De nombreuses productions actuelles s’inspirent fortement d’anciens titres dans leur construction, quitte à en faire un argument marketing. On pourrait très bien citer le tout récent Bloodstained: Curse of the Moon, stretch goal de la campagne de financement participatif de Bloodstained: Ritual of the Night, et qui reprend allègrement les concepts principaux des anciens Castlevania. Pour la petite histoire, son créateur Koji Igarashi a d’ailleurs planché sur la genèse de la mythique série parue sur NES et SNES. Même combat pour Keiji Inafune, qui avait oeuvré sur la série Megaman, et qui en reprend les codes dans son récent (et très dispensable) Mighty n°9.

Bloodstained

Mais ce n’est pas tout puisque, plus largement, la scène des studios indépendants réutilise souvent les mécaniques des jeux anciens afin de séduire les joueurs expérimentés. Cela peut concerner l’aspect visuel, comme l’illustre le parti-pris graphique du pixel art, très populaire. Mais aussi le volet audio des jeux, avec l’utilisation de la chiptune pour rappeler l’ère 8-bits / 16-bits. Des éléments de jouabilité (gameplay) qui ont fait le succès de vieux jeux sont aussi réutilisés, voire réappropriés, par les studios indépendants. Dead Cells, par exemple, se classe dans la catégorie des metroidvania en empruntant aussi bien aux systèmes de la série Metroid qu’à ceux de Castlevania. Un genre à part entière, qui génère des jeux avec des composantes d’exploration, de plateforme et d’action, le tout mâtiné d’une touche de RPG. L’utilisation du pixel art confère en outre à Dead Cells un cachet d’une autre génération, ce qui n’empêche pas les développeurs de Motion Twin d’avoir modernisé la formule.

Et comment oublier Stardew Valley ? Ce titre est l’une des grosses sensations du moment sur la scène indépendante et tire son inspiration de la franchise Harvest Moon, dont les débuts sur SNES datent de 1988. La difficulté étant l’un des marqueurs d’une bonne partie des jeux d’antan, on la retrouve dans certaines des dernières productions à succès. Un approche qui détone avec les jeux grand public, plus aseptisés et accessibles, qui sont devenus une norme il y a un peu plus d’une dizaine d’années. Dans cette catégorie, on peut citer en vrac les Dark Souls, Hollow Knight, Furi et autres Salt and Sanctuary. Autant  de jeux qui capitalisent sur des mécaniques d’un autre temps, misant sur la punition pour renvoyer le joueur dans le passé.

Hormis Bloodstained et Mighty n°9, la totalité des jeux cités a reçu un très bon accueil critique de la part de la presse et des joueurs, ce qui a de fait entraîné des ventes plus que satisfaisantes. La force de ce mélange des époques, quand il est bien dosé, réside dans sa capacité à attirer autant les joueurs de la première heure qu’un nouveau public.

Dead Cells

© Motion Twin

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