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Test de Forgotton Anne : Une expérience visuelle et narrative troublante

18 mai 2018
Par Valérie Précigout (Romendil)
Test de Forgotton Anne : Une expérience visuelle et narrative troublante

En résumé

Finalement plus proche de l’atmosphère paranoïaque de 1984 ou de V pour Vendetta que de l’onirisme d’un long-métrage des studios Ghibli, Forgotton Anne vaut en réalité davantage pour son propos intriguant que pour sa réalisation attrayante. Alternant plate-forme, réflexion et contemplation, le titre se révèle toutefois un peu moins convaincant dans ses mécaniques ludiques, même s’il a le mérite de proposer une expérience marginale qui nous épargne tout sentiment de déjà-joué.

Note technique

Les plus et les moins

Les plus
  • La direction artistique charmante truffée de séquences animées
  • Un propos intriguant auquel on ne s'attend pas forcément
  • Des choix moraux qu'il convient d'assumer jusqu'au bout
  • Une bande-son efficace (voix anglaises, textes en français)
  • L'envie de connaître les tenants et aboutissants de l'intrigue
  • Quelques fulgurances poétiques vers la fin du jeu
Les moins
  • La physique des sauts, un peu trop à l'ancienne
  • Des puzzles redondants qui manquent d'inspiration
  • Pas de notion de game over et donc de véritable défi
  • Assez court (7 heures de jeu environ)

Notre test détaillé

Premier jeu réalisé par le studio danois ThroughLine Games, Forgotton Anne se fait le parfait ambassadeur de la volonté du développeur de proposer des titres axés sur la narration, tout en affichant des ambitions artistiques élevées. Prétentieux ? Pas vraiment, au vu de l’efficacité de ce premier projet !
(Ce test a été réalisé sur PlayStation 4.)

En gardant à l’esprit l’objectif de surprendre les joueurs par l’intermédiaire d’un matériau ayant du sens, les concepteurs de Forgotton Anne sont parvenus à réaliser un titre vraiment singulier dans le paysage vidéoludique. Misant tout d’abord sur une direction artistique apte à séduire n’importe quel amateur d’œuvres d’animation, le soft prend bien vite une orientation inattendue en abordant des thématiques narratives sérieuses. Ainsi, et bien que comportant quelques fulgurances poétiques pouvant évoquer par moments les créations du studio Ghibli, Forgotton Anne s’inspire davantage de l’ambiance paranoïaque de films tels que Soleil Vert, V pour Vendetta ou 1984, dans l’idée de nous faire réfléchir à des problématiques facilement transposables dans notre propre réalité.

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Un vent de rébellion

Dans une société où la notion de liberté est toute relative, l’œil de maître Bonku guette le moindre écart de conduite de la part des individus qui peuplent les Terres Oubliées. Assez inapproprié en réalité, le terme d’individus regroupe en vérité des objets qui sont tombés dans l’oubli après avoir été abandonnés par leurs propriétaires respectifs, héritant ainsi du surnom générique d’Oublions. Imaginez furtivement les êtres qui peuples les univers d’Alice au Pays des Merveilles, de La Belle et la Bête ou de Qui Veut la Peau de Roger Rabbit, et vous aurez déjà une petite idée de ce que sont ces personnages bien vivants, capables de se mouvoir et de discuter entre eux.

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Le drame des Oublions est que leur nature les voit se cristalliser irrémédiablement avec le temps, bien qu’une rumeur prétende que les plus méritants pourraient échapper à leur destin funeste en franchissant le Pont de l’Ether, afin de rallier le monde des humains. Bras droit inflexible de maître Bonku, l’Exécutrice est en charge de la surveillance rapprochée des individus. Son statut lui permet de recourir à la force si nécessaire, en distillant les Oublions séditieux, c’est-à-dire en les faisant ni plus ni moins disparaître ! Aussi redoutée qu’un agent de la Gestapo, l’Exécutrice est donc logiquement mal perçue par les Oublions, et en particulier par les rebelles qui agissent sous l’impulsion d’un certain Mister Fig.

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Pouvoir de vie et de mort

L’une des meilleures trouvailles de Forgotton Anne est de placer volontairement le joueur dans la peau de cette Exécutrice crainte et haïe de tous, en lui laissant le libre arbitre de décider des choix moraux qu’implique sa fonction. Forcée de traquer tous les dissidents au régime dans une société qui appelle chacun à dénoncer quiconque ferait mine de vouloir se rebeller, Anne possède une responsabilité peu enviable. Bien que le joueur soit techniquement habilité à distiller n’importe quel Oublion, le jeu nous fera savoir quelles sont les conséquences de nos actes en retenant judicieusement notre bras. Il faut dire que la maîtrise des pouvoirs de l’Exécutrice requiert quelques tâtonnements préliminaires, l’Arca lui permettant de percevoir son environnement sous une forme spectrale baptisée « animavision », à partir de laquelle elle peut drainer l’anima contenue dans certains objets. Cette énergie peut ensuite être instillée dans divers mécanismes afin de les activer, l’essentiel des puzzles de Forgotton Anne reposant entièrement sur cette fonctionnalité.

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La plume plus forte que l’épée

Tantôt basiques, tantôt plus élaborées, ces énigmes s’avèrent cependant trop redondantes pour constituer un réel atout, au même titre que les phases de plate-forme qui souffrent d’une rigidité d’un autre âge. Même si le level design (construction des niveaux) s’efforce parfois de complexifier ses rouages en nous demandant de déployer les ailes de l’héroïne pour atteindre les hauteurs, ce n’est guère sur le plan ludique que le titre convainc le plus. En revanche, il peut compter sur son écriture parfaitement maîtrisée pour offrir une expérience narrative passionnante, l’envie de connaître les tenants et aboutissants de l’intrigue étant telle que l’on ne peut lâcher la manette avant la fin.

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Dépourvu de toute notion de game over, Forgotton Anne ne renferme certes aucun challenge proprement dit, mais l’intérêt est plutôt à chercher du côté des choix opérés durant la partie. Si ces derniers n’ont pas forcément de conséquences directes sur le déroulement de l’histoire, ils ont tout de même des répercussions sur les réactions des Oublions, la qualité de la traduction française permettant d’apprécier la perspicacité des répliques de chacun à leur juste valeur. Et même si la tournure prise par les événements reste globalement assez prévisible, le titre renferme son lot de passages saisissants qui contribuent à préserver notre curiosité au plus haut degré jusqu’au bout. Une fin qui survient hélas un peu trop rapidement, à l’issue de six à sept heures de jeu environ.

Conclusion

Finalement plus proche de l’atmosphère paranoïaque de 1984 ou de V pour Vendetta que de l’onirisme d’un long-métrage des studios Ghibli, Forgotton Anne vaut en réalité davantage pour son propos intriguant que pour sa réalisation attrayante. Alternant plate-forme, réflexion et contemplation, le titre se révèle toutefois un peu moins convaincant dans ses mécaniques ludiques, même s’il a le mérite de proposer une expérience marginale qui nous épargne tout sentiment de déjà-joué.

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